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01/04/16 - Appel à contributions : Les espaces de travail

significations et modes d’investissement

Numéro 9 de la Nouvelle Revue du Travail

Corpus n° 9 coordonné par Marie Benedetto, Jérôme Cihuelo (parution à l’automne 2016)

Depuis le début de l’ère industrielle, l’espace constitue un des enjeux majeurs de l’organisation du travail et de la production. Il s’apparente à un instrument durable utilisé par les directions d’entreprise pour structurer et contrôler le travail. Néanmoins, il ne constitue pas un ensemble homogène au sens où il est souvent porteur d’intérêts et de significations de natures différentes. Il correspond, pour certains, à un territoire professionnel façonné par des pratiques, des divisions sociales et des normes spécifiques à des métiers. Il comporte en ce sens une dimension stratégique au regard des enjeux de définition de frontières, de production de normes et de reconnaissance. Dans les espaces ouverts, c’est leur dimension dramaturgique qui apparaît, à travers une variation des formes d’engagement entre des scènes de représentation à forte visibilité – sous l’écoute et le regard permanent d’une variété de publics – et des coulisses de plus en plus restreintes. D’une autre manière, la forme hiérarchisée de l’espace révèle sa dimension symbolique. Les conditions d’attribution de postes spécifiques et le positionnement dans l’espace restituent des échelles de prestige et de reconnaissance professionnelle. Dès lors, l’espace demande à être pensé comme un analyseur et un révélateur des positions et des rapports sociaux au sein du monde du travail.

L’espace de travail reste néanmoins un objet faiblement investigué par les sciences sociales. De manière emblématique, la sociologie du travail et des organisations a longtemps privilégié la dimension temporelle dans le but de saisir les transformations du travail et des relations sociales. L’espace n’a jamais véritablement été considéré comme une catégorie d’analyse spécifique et centrale – en tant que révélateur, instrument, ressource ou contrainte – dans la compréhension des dynamiques organisationnelles et des rapports sociaux.

Or, la question des choix en matière d’espace prend depuis le début des années 1990 une saillance nouvelle au sein des entreprises en s’inscrivant dans des politiques de réorganisation et de réduction des coûts. L’espace semble (re)devenir une composante stratégique des directions d’entreprise cherchant à optimiser l’emprise spatiale et à reconfigurer les environnements de travail à différentes « échelles » : poste de travail, aménagement d’un « plateau » ou d’un bâtiment, voire même déménagement, avec de nouveaux choix de localisation et d’inscription dans les territoires. Ces choix, s’ils répondent en partie à des impératifs économiques, se voient dans le même temps investis de projets managériaux dont le numéro 9 de laNRT se propose d’interroger les fondements et la portée. En effet, cette nouvelle économie de l’espace cherche à incarner, dans les pratiques et les valeurs des occupants, une conception de l’activité organisée autour de principes de communication, de transversalité, de disponibilité et de réactivité. Les exigences de l’environnement économique rendraient, du point de vue des décideurs, indispensables et efficients des configurations spatiales favorisant la réactivité et les conditions d’une « coopération harmonieuse et créatrice ». À ce titre, la multiplication des open space pour les cadres du tertiaire apparaît fortement associée au fonctionnement en « mode projet ». Les plateaux projet incorporent des représentations managériales et des visées organisationnelles sur la conduite du travail cherchant à légitimer un régime d’innovation intensive et répétée. Les centres d’appels se « décloisonnent », rompant avec l’image des box fermés, dans le but explicite de favoriser les « échanges de pratiques » et la « mutualisation des savoirs ». Dans le monde industriel, les dispositifs comme le lean et le « 5S » ont eu des incidences fortes sur l’organisation des espaces de stockage. La souplesse recherchée et la « chasse au superflu » participent à transformer les modes de travail comme les agencements spatiaux. Enfin, les nouveaux espaces, qualifiés de « tiers lieux », où se rassemblent télétravailleurs, entrepreneurs ou salariés de plusieurs entreprises dans des espaces partagés, semblent ces dernières années matérialiser les promesses managériales de décloisonnement et de porosité des frontières organisationnelles. Plus largement, le développement des zones périurbaines ou du travail indépendant constituent des phénomènes venant également (ré)interroger la manière de penser les espaces de travail, en interrogeant leur articulation avec les territoires d’une part et avec les espaces domestiques d’autre part.

Dans ce contexte, le présent dossier se donne pour objectif d’interroger très précisément les liens entre organisation du travail et espace à travers trois axes de questionnement.

1. L’espace comme support et révélateur de l’action managériale

Les solutions d’aménagement des lieux de travail privilégient depuis plusieurs décennies un recours croissant aux espaces ouverts. Ce mouvement tendanciel prend appui sur un discours à multiples voix (concepteurs, aménageurs, directions d’entreprises, exploitants, etc.) se structurant autour d’un ensemble d’impératifs gestionnaires, de valeurs et de croyances. Dans ces conditions, les articles s’attacheront à décrire et à analyser les discours soutenant les processus de conception et de mise en forme des espaces de travail. Ils s’intéresseront à l’outillage conceptuel et rhétorique permettant de rendre compte des modes de justification et des processus de naturalisation à l’œuvre (par exemple, le travail en plateau comme solution d’organisation adaptée à un environnement économique exigeant flexibilité et réactivité). Il s’agira pour les auteurs d’appréhender cette rhétorique s’emparant de la question de l’espace à travers les principaux émetteurs, les supports de diffusion et les visions normatives véhiculées. Les articles porteront notamment leur attention aux enjeux, plus ou moins masqués, supportés par les projets immobiliers (rationalisation du travail, communication externe, amélioration des environnements de travail, etc.) et aux formes d’implication attendues sur la durée (exigence implicite d’un renforcement de l’engagement des occupants au regard des investissements consentis, etc.). D’une autre manière, il conviendrait de confronter le logos gestionnaire des démarches dites participatives, fréquemment retenues, aux conditions de mobilisation et aux marges effectives d’action.

Dans le prolongement de ce travail sur la rhétorique, les articles se saisiront de l’espace pour restituer le projet managérial qu’il incorpore et véhicule. Il s’agira de s’interroger sur ce que nous disent les choix d’aménagement des lieux de travail des orientations et des priorités que se fixent les directions d’entreprises dans la gouvernance des organisations. Quelle place et rôle accordent-elles à l’espace dans l’organisation du travail et la mobilisation des salariés ? De quelle manière les espaces rénovés rendent-ils compte de formes (nouvelles) de rationalisation et d’intensification du travail et jusqu’où en constituent-ils le vecteur ? De manière plus large, les auteurs pourront également retenir une perspective sociohistorique afin de retracer l’évolution des usages organisationnels des espaces de travail dans les secteurs industriel et tertiaire.

2. L’espace et ses professionnels : conception et déploiement des espaces

Le deuxième axe s’intéresse aux professionnels de la conception et de la mise en œuvre des projets de déménagement et de réaménagement. Dans un contexte d’augmentation du coût de l’immobilier, la multiplication des projets (transfert, regroupement, rénovation, etc.) a contribué à l’émergence d’un « marché » dédié à l’aménagement des espaces professionnels participant, dans le même temps, à l’apparition de nouveaux métiers (« space planners », consultants en aménagement d’espace, par exemple) et à la recomposition de métiers traditionnels (architectes, designers, responsables de sites, etc.). Ils occupent, pour certains, une position de prescripteurs par leur action de diffusion de « bonnes pratiques » et de normes en matière d’aménagement spatial. En tant que prestataires ils intègrent également les projets et discours managériaux autour des nouvelles formes d’organisation du travail dans la conception de dispositifs innovants (mobilier, espaces de repos, technologies d’information et de communication, etc.). La multiplicité des intervenants sur ce marché interroge sur la spécificité des logiques professionnelles à l’œuvre et des rapports qu’elles entretiennent entre elles dans leur contribution à des projets d’aménagement. De quelles croyances et représentations normatives investissent-ils ces projets ? Quelle place accordent-ils au travail et à l’activité des occupants ? Comment les différents intervenants articulent-ils les évolutions du travail et les représentations managériales de l’efficacité organisationnelle ?

Lorsque les projets font l’objet de discussions avec les instances de représentation du personnel, quelles sont leurs positions et comment intègrent-ils ces enjeux dans leur démarche ? Comment l’acteur syndical s’empare-t-il de la question de l’organisation spatiale et quelles stratégies développe-t-il ? Le « participatif » ou le « volontariat », qui semblent être devenus des composantes obligées des démarches d’accompagnement, suffisent-ils à impliquer ou enrôler les acteurs des projets ? Les apports des sciences sociales sont-ils mobilisés dans la « conduite des changements » engagés ?

3. Construction et appropriation individuelle et collective des espaces

Le travail de structuration de l’espace interroge non seulement sur la portée des logiques de prescription et de contrôle à l’œuvre, mais aussi sur les formes de (ré)appropriation observables.

Dans cette perspective, l’anthropologie et la psychologie sociale s’intéressent principalement aux formes individuelles d’appropriation décrites comme des processus de singularisation et de délimitation d’un espace personnel (re-création d’un « espace à soi » pour gagner en autonomie, en intimité, en singularité et en praticité dans le travail). Ce travail singulier sur l’espace de travail participe d’une volonté d’affirmation et de reconnaissance d’une identité. Au-delà de cette action de privatisation, l’appropriation de l’espace demande à être pensée dans ses formes individuelle et collective.

Quelles sont les formes prises par les actions de réappropriation aussi bien sur les scènes de représentation que dans les zones de repli ? Dans le cas du travail indépendant quelles sont les formes de délimitation des espaces ? Quels sont les enjeux et les visées des stratégies de réinvestissement de l’espace ? Jusqu’où les collectifs de travail parviennent-ils à se recomposer dans des lieux façonnés par des impératifs d’ouverture et de flexibilité ? Les salariés disposent-ils encore de ressources spatiales et professionnelles rendant possible l’ouverture de « coulisses » aux fonctions protectrices ? Que nous donnent à voir les comportements de réappropriation sur ce qui compose l’espace (pratique, social, symbolique, virtuel, idéel, etc.) ? Quel type de résistances et de luttes se joue dans et pour l’espace de travail ? Les incidences sur la santé au travail des occupants pourront enfin être abordées à travers les effets liés aux environnements de travail (bruit, promiscuité, etc.) et/ou liés aux nouveaux modes d’organisation (interruptions, contrôle permanent, etc.).

Dans le souci d’ouverture de la revue à toutes les disciplines des sciences humaines, l’objet traité par le corpus s’adresse à la sociologie, mais aussi, largement, aux autres disciplines intervenant dans la conception des espaces (ergonomie, architecture, design, etc.).

Modalités de soumission
Les articles ne doivent pas dépasser les 45 000 signes (espaces et bibliographie compris) et sont à adresser

avant le 1er avril 2016

à nrtravail@gmail.com en suivant les modalités et les normes de présentation précisées à la rubrique Soumission et évaluation sur le site web de laNRT : nrt.revues.org

Évaluation
Les articles, rendus anonymes par le secrétariat de rédaction, sont distribués par le comité de rédaction (via les coordinateurs de rubrique en général) à deux experts (comité de lecture, experts extérieurs, comité de rédaction). Les deux experts rendent un rapport écrit (et anonyme) avec une conclusion claire sur le caractère publiable ou non de l’article. En cas de rapports contradictoires, il est fait appel à un troisième expert.

La politique de la revue consiste à encourager les auteurs, dont les papiers ne sont pas jugés publiables en l’état, à les reprendre à partir des pistes suggérées par les lecteurs de la revue.

CONTACT : Arnaud Chabrol

courriel : chabrolarnaud@gmail.com

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